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« Rue du Paradis », j’y étais, mais voilà la DS 2 m’a renversé, et je suis au dessus de mon corps, je flotte, je vois la mare de sang. Brest, le départ, une ville meurtrie, elle a saigné dans son corps, le mien est encore là sur le bitume. Pourquoi ce frisson, que se passe-t-il ? La ville, le tramway en construction, les gens qui se bousculent dans la rue de Siam. Un café, le « Cap Horn » près de la gare, j’entre mais pourquoi personne ne me sert ? je sers à rien ! Que fais-je là ? Où vais-je ? La ville était si belle avant guerre. Pas de fleurs, mais des murs, quatre murs qui ceinturaient le centre, quatre portes, des trains, j’aime les rails, j’aime la vie. Et ma femme qui discute sans les enfants. Elle pleure. Des larmes. Je crie. Quelqu’un va m’arrêter ? je veux un corps. Ềtre visible. Pas un passage au poste de télévision, c’est éphémère, même l’INA ne conserve pas votre jeunesse, mais de la chaleur pour serrer celle qui a porté mes gênes, mes enfants, ils sont où ? L’école Charles de Foucault, ça a changé ; c’est bon, ils s’amusent, tirent les cheveux de l’autre, donnent des coups, se battent, ils sont normaux ; je peux retourner voir mon cœur brisé, ma femme. Veste claire, paupière creuse, cheveux noir jais ; j’aimais sentir son corps, sa sueur, son amour. Mais qui est cet homme qui me remplace ? Pourquoi son épaule sur son pull-over gris. Ses petits seins, sa soif, elle boit de l’alcool, c’est pas cool, je sais qu’elle ne le supporte pas, après elle danse, et puis se laisse entraîner dans sa folie, sa peur de vieillir. Brest, je commence un drôle de voyage, moi. J’étais si bien dans ma bulle, sur le sol, sans douleur à Marseille. Que fais-je ici au point de départ, dans un port ? Je vais voir ailleurs ce qui se passe car voir la douleur et le réconfort, c’est insupportable. Moulin-Blanc, les bateaux, des beaux et des horreurs, un peu comme cette ville reconstruite qui porte la marque d’architectes pressés par le temps, tout droit, tout rectangle, tout blanc. La plage, les coques, ses coquillages que je ne mange pas.. Je glisse, plus de corps, fantôme ? Je parle seul. Personne ne m’entend, je pense encore, donc je ne suis pas mort. Mais alors pourquoi ce sang ? Qu’est-ce que le temps ? Je veux vivre, courir en maillot, sur la plage, car je suis pudique, j’aimerais voir des vagues, sentir l’iode, balader mon chien. Ềtre simple. C’est pas compliqué d’être simple, les lois mathématiques, le « un plus un font deux » ça ne marche pas, c’est une langue, et les langues, ça a un début et une fin même si ça croit évoluer. L’espéranto, je connais. Tout le monde parlerait la même langue, l’horreur uniforme ! On veut nous tuer à coup de publicité, nous clôner, nous mettre du plastique partout. Nous faire magazine papier, je vomis. Aucune sensation, que m’arrive-t-il ? Brest ma ville de naissance. Je te reconnais mais je ne t’ai jamais vue sous cet angle, de haut, le château, ma maison. Sensation bizarre, on dirait que je peux me déplacer là où je pense, et si on allait en enfance, je retrouverais mon équilibre. Non, déjà fait ! Que me reste-t-il à faire dans cette vie sans corps. Visiter. Voir, pas savoir, pas comprendre, voler enfin, avancer, être, suivre mon chemin, ma route sans peur du danger. Reste le temps, ai-je encore le temps de voir la planète ? Et où aller ?

 

Un ami, c’est quelqu’un à qui l’on téléphone par plaisir, et même si le répondeur sonne, on laisse sa voix, un message, c’est comme cela. « Narcose, Rue du paradis », là où ma vie bascule, je vais changer de peau, vivre ma vie, découvrir la Terre. Ma femme pleure ma mort, au Cap Horn, et je ne sais toujours pas à quoi ressemble ce caillou, planté en pleine mer. Je retourne sur le lieu de l’accident, Marseille. Ville cosmopolite que je ne connais que de nom, je vais découvrir ses rues, sa foule, sa folie, je vais prendre le train, et pourquoi le train quand on est une âme grise et que l’on voyage sans sac, qu’on vole ? Bizarre cette sensation d’évoluer sans corps, il est où d’ailleurs cet objet que je portais mal ? À cause de quelques kilos en trop, une évolution de la silhouette, un poids à porter. Je fus charmant, les femmes me regardaient et puis le vide, l’absence de rencontre, j’ai tout expliqué, n’est-ce pas ? Cette divagation d’un loup solitaire, ce second moi, ce changement d’identité nécessaire pour retrouver une assise sociale, femme, enfants, amour. Et qu’est-ce que c’est que l’amour et l’amitié ? Un sentiment, je mens, je n’en sais plus rien. Perdu de vue, ce concept, perdu de vue les cercles sociaux, ceux qui agissent en masse, solitaire dans l’âme. Sur un réseau social virtuel, j’ai cru retrouver des connaissances, ils venaient en « amis » vers moi, et je cliquais oui, et vous envoyez un mot, ils ignorent alors que vous avez partagé de nombreux repas en leur compagnie. Que dis-je de plus ? Cuites, balades sur l’eau, la mer en friandise, et puis le vide, l’absence. Maintenant, je suis mort et vraiment seul, où aller, visiter. Regarder, ne plus toucher. Tiens, je n’y avais pas pensé, ne plus toucher, ne plus sentir, une odeur, fleur, corps de femme pendant le coït, côte de bique, de chien, de chat, et gros lapin. Qu’est-ce qui va me manquer le plus maintenant que je vole de ville en ville, dans le passé. Expliquer, un avenir ? Ma famille. Les enfants seront malades à crever, ils penseront à leur père, ils iront à la messe, on passera une musique puis mon corps, suivant mon souhait, sera brûlé sur la place publique, enfin mon cercueil. Je navigue à une de ces vitesses moi ! Je viens de redescendre à la naissance, voir le moment le plus important de ma vie, la disparition du père, la femme, la vie ratée, et les voyages, puis l’immobilisme, devenir crétin de basse-cour, j’en connais. Vous savez, ceux qui ouvrent le journal à la page des morts, ils regardent chaque matin s’ils n’y sont pas, déçus, et aujourd’hui c’est moi, ce couloir blanc, cette vie qui s’échappe et le paradis c’est l’enfer, qui je dois rencontrer ? Qui je dois voir pour parler, dire « éteignez-moi, si je ne peux, sentir, toucher, marcher, et ressentir les brûlures de mes pieds ». Si je ne peux pas avancer sur un chemin, sentir le froid, le chaud me plaindre, qui suis-je ? Un fantôme ? Je vais voir une glace, il faut que je trouve une glace, un endroit où je respire mon narcissisme, ma face, ma barbe, ma peau, mes poils, le tout qui fait un être réel pas virtuel.

 

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