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Kerichen, ça change tout. Je me rapproche d’Olivier, il conduit vite mais bien, et je suis toujours en retard, les professeurs n’aiment pas cela. Mon frère se lève à l’heure où nous devrions quitter l’Aber pour Brest, la vieille Diane accélère dans les pentes, nous faisons même parfois la course avec une « deux chevaux », mais j’arrive tous les jours en retard à l’école. Un conseil de sa part pour éviter le conseiller d’éducation : « tu frappes et tu entres ! » Facile, je teste et magie de l’expérience, ça marche. Je vais deux fois moins voir la salle des punis. J’entre, je pose mon sac, sors mes crayons, et écoute. Enfin, je n'écoute que les professeurs qui m’enchantent ; ceux qui sont là pour faire leur labeur du quotidien, je n’en ai rien à faire. Là, au dehors, les arbres, leur cime, les troncs, la verdure du printemps, les feuilles mortes de l’automne me fascinent, et m’indiquent le vent, son secteur, sa force, je rêve de progresser sur mon support fétiche.

 

Sinon, j’aimerais dessiner mais je suis nul en cette matière. Pour moi, la terre est carrée, et chaque fois que je tente d’associer les couleurs primaires, je tombe sur du caca d’oie, pas très beau, sauf pour la terre carrée.

En sport, je me distingue et je découvre l’UNSS, nous portons les couleurs de l’école par équipe de trois, nous naviguons pour Kerichen, et aussi pour le plaisir de la compétition. Je me souviens qu’au rugby, je traversais le champ de joueur. Un jour, mon professeur m’a placé seul face au paquet d’avant, une meute qui cherchait le ballon ovale, je suis sur le cul, renversé par la force de l’impact. Je viens d’apprendre que le nombre fait basculer le monde, j’aimerais un jour que la violence cesse, mais comment faire ? Le collège à Brest, ce sont de belles années d’inconscience. Je navigue dans la moyenne, même si parfois je collectionne les zéros.

 

Olivier m’a oublié un jeudi. Lui jouait au centre commercial pendant que je patientais sur un mur de pierre. S’est-il trompé de jour ? Je ne sais pas, toujours est-il que je reste là… presque jusqu’à la nuit. Je pars, seul sur la route, avec mon sac à dos fluorescent jaune. Je vais voir si sa voiture se trouve dans son lycée, rien, pas l’ombre d’une Talbot Samba. Alors, je décide de rentrer à pied à l’Aber, et quand je marche devant les facs, je le croise dans l’autre sens. J’accélère le pas, et tente de rejoindre Penfeld avant qu’il n’ait fait le tour de la ville. Coup de chance, c’est lui qui me ramène, il était rentré à la maison et ma mère lui avait juste dit : « il est où ton frère ? » une question sans réponse. Sur le chemin du retour, je suis muet et en colère. Oublié ! Je tente de rassembler les morceaux de ma mémoire et je suis là sur un mur, le sac à dos plein de cahiers, la peur d’être oublié, sans doute la raison pour laquelle je me livre ainsi sans pudeur. Voyager au fond de mon âme, mon drame, ma différence.

 

Je me bats assez souvent mais juste quand on m’agresse ; souvenir de cantine où l’on me pousse violemment dans le dos… je réagis… et le portemanteau accroche presque mon ennemi d’un jour, car j’y pense et puis j’oublie, telle est ma devise. Les vacances, la bande, nous formons un tout et jouons à tout, nous n’avons pas commencé à boire, mais la mer est là, parfois calme et translucide, parfois un démon quand elle se démonte et nous pousse dans nos retranchements. Une fois, j’ai essayé de naviguer sur un paquebot un jour de tempête, j’avais une voile tempête, mais la force des éléments ne me permettait pas de naviguer. Ma mère m’aide à porter ma planche et une rafale nous pose le cul par terre. Maintenant, je sais que nous sommes bien petits face à la force du vent, et quand plus tard, je vois ma voile s’élever à une dizaine de mètres, je plonge ma tête dans le grand noir, la mer moutonne, gronde, et je joue.

 

Mes camarades de Brest sont drôles, Lul surtout, il est la mascotte, le gai luron de la bande, ses parents louent une petite maison dans un bois surveillé par deux gros chiens, je ne sais plus la race, je me souviens seulement qu’aller le chercher chez lui en été, ce n’était pas une sinécure, nous avions peur pour nos fesses, et c’est en courant que nous allions sonner chez lui.

 

Le terrain de tennis ; je casse des raquettes, les nerfs ; ce sport est fait de patience ; je joue, mais si je perds, je perds mon sang froid, et puis Olivier frappe beaucoup plus fort que moi, et moi je n’aime pas cela. Les filles, il y en a mais je ne comprends pas leur choix, elles aiment d’autres que moi, moi je m’en fous !

Les briseurs d’écumes ; je suis aide-moniteur, et nous avons un rituel, faire des bêtises, jeter à l’eau toute habillée la même personne, je participe, et plus tard, celui que l’on jette à l’eau se vengera de cet affront, mais pour l’instant, je suis dans l’insouciance totale, sauf que Gildas a vendu le bar à des personnes peu recommandables, et le soir quand je rentre, les problèmes d’argent sont là, et toujours la même rengaine.

 

Nous avons de quoi manger, mais j’apprends en jouant aux jeux vidéo au Neptune, que « mon ossature de première rencontre » est plutôt satisfaite de cette vente du bar. Eux, ils aiment avant tout être rincés, et c’est avec notre fond de commerce qu’ils sont rincés, début difficile dans le monde des grands, je suis souvent dans le grenier, et Jack London, Boris Vian, Romain Gary sont mes vrais amis, eux ont su dire des choses, coucher sur papier leurs mémoires.

 

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