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— Regarde ! La lumière… Elle vient de loin, traverse le ciel, la vitre et te caresse la joue.

— Papa ?…

— Mon Fils, elle est la source de l’univers…

— Je vais mourir ?

L’enfant était malade, les gènes. Les cellules de son corps vieillissaient à une vitesse accélérée, plus de cheveux, les yeux fatigués, la peau flétrie. Olivier avait huit ans et l’air d’en avoir cent. C’était un enfant tranquille qui aimait la vie, mais cette garce l’avait piégé dès son entrée dans ce monde. Nous étions samedi, son père se trouvait à son chevet, la peur au ventre. Il leur restait à peine que quelques heures…

— Tu as froid ?

— Non. Papa, je n’ai pas peur mais je suis triste.

— Veux-tu que je te raconte une histoire ?

— Oui, raconte-moi… la vie !

Olivier était dans son lit, il rêvait souvent aux montagnes, aux hiboux, et à des voyages sur l’océan. Le printemps ôtait les peines, les fleurs épanouies arboraient des couleurs fleuves, essences d’arc-en-ciel. Plus haut, les oiseaux chantaient une ode au firmament , et les merveilles du renouveau semblaient illuminer le monde. Sauf dans cette petite pièce où la mort s’occupait de ce petit corps. Elle venait le chercher.

— Que veux-tu savoir ?

— Tout !

Les lèvres du père se pincèrent… Son regard se fit intérieur, il cherchait ses mots.

—… Difficile de commencer.

— Papa ! … Raconte… Je veux connaître toute l’histoire.

— Au début, on ne trouvait pas les images, le vide, le noir. Une pensée s’est levée comme le souffle du vent et elle a tout inventé… Les prairies, les poissons-volants, les sorcières et la forêt.

— Toute seule ?

— Je l’ignore, Olivier .

— C’était qui ?

— Dame-nature !

— L’origine du monde… est une femme ?

— Je le crois.

— Et le diable ?

— Tu en as peur ?

— Non, je suis un enfant. Il ne s’intéresse pas à moi.

— Tu en es sûr ?

— Parfois, dans mes cauchemars. Mais je ne laisse pas faire. Je me bats.

— Tu es courageux.

L’enfant toussa.

— Tu es fatigué. Je te laisse ?

— Non, je n’ai pas sommeil. Je vais vous quitter… Alors, ne me laisse pas seul !

La larme qui brillait dans les yeux du père ne devait pas se voir. Il aimait son fils, Olivier. Mais la nature avait mis une bombe dans le corps de son enfant et il était un homme solide, mais impuissant. Parfois, il aurait aimé tabasser la créature créatrice  pour cette injustice.

— Quel est ton animal préféré ?

— Euh… Le chat…

— Magnifique. Ces êtres, ils connaissent la magie.

— Ils volent ?

— Non, mais leur esprit le fait pour eux. Les chats se glissent dans nos rêves, ce sont eux qui remplissent nos nuits.

— Et les dauphins ?

— Ce sont les seigneurs des mers, ils connaissent les secrets des hauts-fonds. Une fois, j’en ai vu en vrai.

— Tu as nagé avec eux ?

— Non, mais l’envie était là. Quand, ils dansent dans l’eau, tout devient léger.

— Comme une plume ?

— Mieux encore…

Dehors, le soleil rendait joyeux. Olivier ne voyait pas le canard qui se promenait sur le lac, mais il voulait savoir le pourquoi du comment, conscient que son âme allait bientôt rejoindre les cieux. Son père faisait son possible pour ne pas pleurer, lui aussi. Il sentait que l’enfant allait le quitter, visiter le pays des ténèbres, ou ailleurs ?

— Si tu veux, ce soir, nous irons voir les étoiles.

— Oh, oui !

— Le ciel raconte des histoires.

— Papa? Des fois, je ne dors pas alors je me lève et les regarde.

— Elle te parlent ?

— Elles m'ont appris que si certaines sont mortes depuis des milliers d'années, elles continuent de briller. Les étoiles sont des souvenirs.

Olivier regarda son père d'un air sérieux. Malgré son jeune âge, la maladie l'avait rendu suffisamment mature pour comprendre les affres de la vie.

— L’univers est un livre ouvert pour celui ou celle qui ont l’esprit curieux. Le toit du monde rend humble, la Terre est si petite.

— J’aurais voulu voyager.

— Tu es un voyageur immobile, mon fils.

— J’aime bien les perroquets.

— Quand j’étais petit, nous en avions dans la famille, des gris du Gabon.

— Ils parlaient ?

— Un peu. Mais j’avoue que j’avais peur.

— De quoi ?

— Ils sortaient de leurs cages et se posaient sur nos têtes, le bec béant. Je n’étais pas fier. Je tremblais.

— Et les singes ? Tu aimes les singes ?

— Nos cousins, je les trouve rigolos.

— Ils sont tous nus.

— Et alors ? L’homme a commencé nu son histoire.

— Même les filles ?

— Tout le monde.

— Moi, je n’aime pas mon corps. Je ne suis pas comme les autre. D’ailleurs à l’école, ils se moquent.

— Ce sont des imbéciles.

— Peut-être, mais ça fait mal !

La mouette riait. Le père voulait serrer le petit homme dans ses bras. Il voyait Olivier dans son lit, sous la couette, si fragile. Parfois, l’envie de mourir pour ne plus souffrir devenait si forte qu’il devenait loup de pleine lune hurlant son malheur. Il cachait cette face-là à son fils. La bêtise humaine le mettait en rage : ces enfants ne connaissaient pas leurs chances d’être en bonne santé. Et lui, il apprenait tant d’Olivier qu’il avait parfois honte de l’homme qu’il avait été avant d’être son père.

— Veux-tu de l’eau ?

— Non merci, papa. Une histoire !

— Je vais chercher un livre.

— Non, reste ! Parle. Ne lis pas !

— Je ne connais pas de pirates. Tu sais ?

— Et alors ?

— Bon, laisse moi un peu de temps.

Le silence planait dans la pièce comme l’aigle au-dessus de sa proie.

— Tu connais Margot, la reine des baleines ?

— Euh, non !

— Elle portait une couronne de dents de requin et les océans étaient son terrain de jeu. Parfois, elle coulait les bateaux marchands qui lui faisaient de l’ombre. Elle donnait des coups de queue si puissants que le bois des navires se fendait  et leurs trésors allaient au fond.

— De l’or ?

— Du vin dans des amphores, de l’huile…

— Mais ? Elle polluait la mer !

— Margot aimait l’ivresse des haut-fonds… Elle était jalouse de sa cousine.

— Pourquoi ?

— À cause du roi.

— Son mari ?

— Oui, il était amoureux de sa cousine, ce qui comme toujours entraînait la guerre. Margot était triste… Alors elle donna l’ordre de tuer l’autre baleine.

— Elle était méchante.

— Plutôt bête !

— Et le roi, il la laissa faire ?

— Il n’eut pas le temps de donner son avis. Mort.

— De quoi ?

— Je ne sais pas. Depuis, Margot n’a pas trouvé le grand sommeil. Parfois, on croise son fantôme dans le ciel.

— La nuit ?

— Tu as peur des fantômes ?

— Non !

Olivier disait non mais ses  yeux indiquaient le contraire. L’enfant tentait de chasser les mauvais esprits qui l’accompagnaient sur son chemin. Quelque part, personne n’y pouvait rien. Juste une question de destin.

— Parfois, l’amour fait faire des bêtises.

— Comme voler des billes ?

— Un peu. Disons-que l’on perd le nord.

— Moi je connais où elle brille, l’étoile du nord.

— Tu n’auras qu’à me la montrer ce soir. Je n’ai jamais su me diriger en levant le nez au ciel. Cependant, souvent je croise des astres éphémères qui brûlent à des années-lumière de nous.

— Des étoiles filantes ?

— Oui, et je crois en leur pouvoir. Alors, je fais des vœux.

— C’est quoi ?

— Une demande à celui qui tire les ficelles et ordonne la vie.

— C’est qui ?

— Un illustre inconnu… Personne ne le connaît vraiment.

— Moi, il me parle.

— Et que te dit-il ?

— Je n’ai pas le droit de le dire.

— Même à ton père ?

— Il faut que je lui demande. Mais ce n’est pas facile, parfois il ne répond pas à mes interrogations.

— Je ne savais pas que tu avais des secrets et un maître.

— Je parle avec les morts.

— Rien que cela…

— Je veux savoir ce que l’on trouve après la vie alors je pose des questions…

— Et tu as des réponses ?

— Je ne suis pas sûr d’avoir tout compris. Mais voilà : quand on est mort on voyage dans l’espace, parfois on change d’espèce.

Une araignée et trois papillons jouaient à vivre dans le jardin. Un chien aboya. Le père cachait son malaise, sa peur de perdre son enfant. Il voulait crier mais il se contentait de lui sourire. Midi sonnait à l’église du coin.

— Tu as faim ?

— Non, pas vraiment.

— Je vais te faire un plateau. Tu dois manger.

— Ne me laisse pas tout seul !

— J’en ai pour cinq minutes. Je reviens.

Olivier rêvait à la neige. Il en avait vu une fois et les flocons qui tombaient étaient restés dans sa mémoire. Le petit se voyait dans ce blanc, heureux. Le père fouillait la cuisine à la recherche d’un plat pour son fils. Dans le frigidaire, il trouva une salade et un mot d’amour. Sa femme était un ange, sans les ailes.

— Tu vois, je n’ai pas été long.

— C’est quoi ?

— Tomate, patate avocat… Tu aimes ?

— Et de la mayonnaise ?

— Regarde !

— Merci Maman !

— Et moi ?

— Merci Papa !

Même s’il n’avait pas faim, Olivier mangeait en masquant son manque d’appétit.

— Papa, je ne serais jamais vieux.

— Tu es éternel. Olivier, tu resteras toujours dans le cœur de ton père, de ta mère…

— Oui, mais je n’aurai jamais d’enfant.

— Tu penses à cela, toi ?

— Regarde-moi !

Le père ne faisait que cela : regarder ! Putain de maladie !

— Je ressemble à un ouistiti.

— Et alors ? Pour nous tu es un trésor…

— Une fleur périssable. Je sens que je pars pour le grand voyage et je n’ai pas peur.

— Qu’est-ce qui te fait rire dans la vie ?

— Les pingouins !

— Tu as raison… J’aime bien les voir marcher.

— Et nager !

— Tu aimes la mer ?

— Sa couleur… mais son immensité parfois m’effraye.

— N’oublie pas que nous avons traversé l’ Atlantique, moi et ta mère.

— C’était beau ?

— Un rêve. Nous avons croisé le chemin d’une famille d’ orques au large des îles Canaries. Le vent est un élément magique ; sur un bateau, tu vis au rythme de la nature, levers et couchers de soleil.

— Je n’étais pas né…

— Non, mais tu étais déjà dans nos pensées.

Olivier devint songeur.

— Qu’est-ce que tu as ?

— La Terre est grande, je n’ aurai pas le temps d’en faire le tour.

— Dans une autre vie… Peut-être…

— Oui, mais vous ne serez plus là.

— Ne pense pas à cela…

— Papa, je ne veux pas vous perdre.

— J’ai perdu mon père. C’est ainsi, la dure loi de la vie. On arrive sur une planète, on respire, on pleure, on rit, et puis les forces nous manquent, la mort nous appelle.

— Les arbres sont éternels.

— Non, je ne crois pas.

— Mais si, ils donnent de l’air à la Terre.

— Et ils abritent les esprits.

— Ah bon ? Raconte !

—Laisse-moi me souvenir…

— Tu connais la forêt ?

— Un peu. Dans ma jeunesse et avant de connaître ta mère, je suis allé en Amazonie. Les bois sont immenses, tu respires leurs odeurs. Tu t’enfonces sous leurs ombres, les sons des animaux sont si puissants que tu comprends que l’essence de vie, l’élixir de jouvence se trouvent là. Les insectes, les grenouilles, les oiseaux chantent…

— Les fourmis ?

— Elles construisent des châteaux pour leur reine.

— De sable ?

— Sur la route, j’ai croisé une armée de fourmis rouges. Sur leur dos, elles portaient de feuilles gigantesques, vertes. C’était rigolo !

Le vent se levait sur les dunes alentour . Olivier était fatigué mais il aimait les paroles de son père. Sa curiosité se piquait de ses mots.

— Dans mon voyage, un homme des bois me racontait ses croyances. Il pensait que les esprits volaient et habitaient la forêt. D’ailleurs, je l’ai vu envoûté. Cet homme était un sorcier, il conversait avec les morts et connaissait des secrets de la Terre.

— Il avait plusieurs femmes ?

— Drôle de question, mon enfant !

— Je l’ai entendu à l’école. Dans certaines tribus les hommes ont plein de femmes.

— La polygamie. Une coutume ancestrale.

— Et toi, tu as connu plusieurs femmes ?

Le père embarrassé, il n’aimait pas aller sur ce terrain là.

— Des expériences diverses, mais seul ta mère compte vraiment.

— Et les autres, tu ne les aimais pas ?

— Être adulte, c’est parfois compliqué.

— Pas plus qu’être malade.

Le père avait envie de pleurer mais ses larmes s’accrochaient à son âme. Pas le droit de flancher face à l’innocence de l’enfance. Il tourna la tête son regard fila droit vers les nuages et il vit le soleil.

— Tu auras d’autres vies, j’en suis sûr !

— Tu dis cela pour me rassurer. Moi, je crois que je vais plonger dans un trou noir. Bientôt, je ne sentirai plus rien.

— Je ne crois pas. Tu vas aller dans un pays merveilleux aux collines d’argent et aux yeux de lumière. Un endroit magique où tu vas rencontrer des lutins, des fées, et l’amour.

— Tu crois ?

— Écoute ton père !

— Personne ne m’a appris à nager.

— Et alors ?

— Ben, je risque de me noyer.

— Mais non, tu vas apprendre et puis tu sais, je te vois dans une plaine chevauchant une licorne.

— Comme Zorro !

— Pas vraiment… Non…

— Et toi, tu seras où ?

— Pas loin de ton cœur. Je resterai toujours une image accrochée à tes souvenirs.

— Et Maman ?

— Son corps t’a porté, tu es son fruit. Alors ne t’inquiète pas… Jamais elle ne pourra t’oublier ; pour elle, tu es la vie.

Olivier s’en allait lentement vers le pays aux cauchemars. Sa fièvre montait aussi sûrement qu’une marée d’équinoxe. Son regard se perdait, il avait du mal à ne pas s’endormir mais la voix du père était douce, alors il l’écoutait.

— Je vais te laisser dormir.

— Papa… Reste !

— Je descends. Je vais mettre de la musique que j’aime.

Quelques minutes plus tard, Olivier entendait la voix de Gainsbourg « la balade de joli Jane ». Il s’endormit. Le père regardait le chat dans la cour, immobile comme le temps. Ce félin s’adonnait à la paresse, quand il ne chassait pas les mauvais esprits ou les oiseaux. L’enfant, lui, rentrait dans le monde des calmars géants et des méduses.

— Allô, Charlotte !

— Oui.

— C’est moi, le petit dort. À quelle heure seras-tu à la maison ?

— Je vois ma dernière cliente à dix-sept heures. Après, je rentre.

— Je vais faire les courses, le frigidaire est vide.

— Ne laisse pas le petit seul, s’il se réveille. Commande plutôt ? des pizzas !

— D’accord . Je t’embrasse très fort mon amour.

Un chien errant pissait sur la grille du jardin. Le père s’installa sur le fauteuil du salon grisé par les mélodies du poète. L’air salin lui donnait l’envie de voir la mer, de se baigner et d’oublier sa tristesse. Il monta se faire couler un bain chaud, plein de mousse. Sa tête alla sous l’eau, il ne voulait plus respirer tellement le chagrin remontait le courant de ses veines. Il manquait de courage.

— Papa !

Voilà qu’Olivier se réveillait. Il avait la voix de ceux qui ont vu quelque chose qui fait peur, ça tremblait, des sanglots longs l’habitaient ?. Que lui arrivait-il ?

— Je suis là. J’arrive.

L’escalier, la porte de la chambre… et ce regard du petit…

— Des serpents, Papa… Ils veulent me manger.

— C’est Ce n’est qu’ ? un mauvais rêve Olivier. Ne t’ inquiète pas, je suis là.

— Je les ai sentis ramper sur mon corps. Ils étaient froids, nombreux, des yeux d’or.

— Lève-toi ! On va sortir se promener.

— Oh oui !

— Alors Habille-toi.  Veux-tu que je t’aide ?

— Non, je suis grand maintenant.

Le petit mit  son pull-over bleu avec un cygne sur le ventre. Il aimait cette image. Un petit nuage chargé de pluie survolait le jardin. La plage n’était pas loin, le père et le fils allèrent regarder les vagues de bord de mer. Elles traversent la Manche et se cassent sur le sable fin. Olivier aimait ce spectacle.

— Regarde, un canard !

— Mais non, Olivier, c’est un cormoran.

Sur le  rocher, l’animal offrait ses ailes à Éole.

— Il ne vole pas.

— Parfois, c’est un excellent chasseur de poisson.

— Dis, tu m’emmèneras à la pêche ?

— Maman ne voudra pas.

— Pourquoi ?

— Elle a peur du large.

— Pas moi !

— Viens ! On va aller voir la sorcière.
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