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J’apprends aussi, en regardant depuis mon coin, qu’un diabolo menthe c’est un verre de vin, sans doute une façon pour ce blagueur né d’oublier son alcoolisme. Nous sommes en Bretagne, au fin fond du Finistère, la fin du monde, et les gens ont soif dans ce pays. D’ailleurs, un jour je me lève et je m'aperçois que ça sent le gaz au dehors, la triste affaire de l’Amoco Cadiz, boudin à l’entrée du port, oiseaux noirs de pétrole, les roches deviennent dangereuses. La seule chose positive dans ce massacre, c’est que les gens se parlent, finis les conflits, trêve, tous unis derrière la chienlit, solidarité de la guerre, le paysage est meurtri. Je voyage dans les livres au grenier, il y a plein d’histoires fantastiques. L’adolescence est lointaine pour l’instant, les filles sont des extra-terrestres qui se battent peu, et pleurent parfois pour une mauvaise note à l’école. C’est drôle, moi je finis vite mes devoirs en classe pour me plonger dans les bandes-dessinées, et je rencontre un personnage de la Gaule profonde, Astérix. Je suis bien plus près des bardes, des druides, de la potion magique que de Tintin qui m’interpelle mais me laisse sur ma faim. Il neige rarement, mais nous jouons à construire un igloo, un rien nous amuse. Plus j’avance dans ce récit, plus la marée des souvenirs grossit, avec l’âge, la mémoire d’être prend place. Je tente de rester en enfance mais de ligne en ligne, je me rapproche du nœud du problème de tout un chacun : l’antinomie entre garçon et fille. Là, je suis encore dans l’insouciance et le plaisir de vivre.

 

La petite section prend fin, la classe de sixième arrive, début d’une autre aventure : le car ! Le car est un moyen de transport collectif, nous partons tous vers Portsall le lycée. Là, j’entends des chansons paillardes, elles sont nulles, je n’ouvre pas ma gueule, je supporte la bêtise collective, tout en pensant quelquefois, souvent « qu’ils sont cons », ou alors est-ce moi ? Au Gulf Stream, les travaux avancent, le bar prend la forme outre-Atlantique, la bière est aux pommes, cerises, des Krieks, naissance d’un pub. Simon et Garfunkel, les Doors, Hubert-Félix Thièfaine, et tant d’autres merveilles… J'adore la musique. Et puis ça change de la mode du moment, ce hard rock que je goûte peu. Quand je sors du car et que j’entre chez-moi, j’entends enfin autre chose que Bali Balo dans son berceau. Je joue aux cartes.

 

Petit retour en arrière, dix ans. Rencontre avec Yannick, il a une voile enfant, et ensemble nous découvrons un nouveau sport : la planche à voile qui nous permet de faire connaissance avec le vent. Maintenant, le matin j’observe la cime des pins, elle m’indique la force du suroît, du noroît, enfin du vent. Yannick partage, il sera ma pièce maîtresse dans ma construction. Mes parents sont absents, et l’éducation je l’aurai dans sa famille. Nous jouons, nous nous baignons, et rencontrons aussi Ludovic qui vient de s’installer à l’Aber. Ludo a un programme très chargé, mais il nous rejoint dès qu’il le peut ; goûters chez l’un, chez l’autre, la belle vie. Deux amis, des vrais… pas ceux comme Ronan capable de vous planter un couteau dans le dos, ou de face. Parfois même, je dors chez Yannick ; je ne suis pas loin d’être le deuxième fils de la famille. Un jour, il me montre sa collection de timbres, très beaux, très nombreux, je deviens aussitôt philatéliste. J’ouvre ma propre collection. Pour cela, je pique quelques pièces doubles à ma sœur Marie-Noëlle, puis des timbres rares, enfin vous voyez ce que je veux dire, beaux, plus quelques enveloppes qui portent les classiques de l’époque ; en quelques heures, j’ai construit une petite collection de ma nouvelle passion. En fait, je crois avec le recul, que je voulais impressionner Yannick et sa sœur. Dès le lendemain, je leur montre fièrement cette collection toute neuve. Comme Papa voyage beaucoup, nous avons de la matière. Petite séance de visionnage des timbres, elle ouvre son livre, je montre les miens en vrac, et je suis heureux d’avoir des pièces qu'ils n’ont pas, alors qu'ils ont commencé depuis bien plus longtemps que moi. Je me sens ridicule, à cause du petit nombre de timbres que j’ai, je sais que mon père n'écrivant pas assez, je ne pourrai que difficilement alimenter cette passion, sans parler du droit d’aînesse, la primauté d’être la première, dû à ma sœur qui ne me laisserait pas prendre toute la place.

 

Alors, je donne sans hésiter le fruit de ces quelques heures d’exaltation à mes amis, tout simplement heureux de faire plaisir, de faire croître la jolie boîte, le livre spécial, celui qui possède des pages translucides pour voir les dents, toutes les dents, c’est une question de patience. Je souris devant le résultat, mes efforts ont payé, la collection d’Élisabeth est tout simplement belle et j’en suis l'un des modestes artisans. Je rentre chez moi et commence à zéro une nouvelle collection. Je ne serai pas philatéliste. D’ailleurs à cette époque, je ne sais pas quel travail faire, et vous verrez que cette absence de but va m’handicaper dans la vie, jusqu’à aujourd’hui.

 

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