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Nous naviguons à l’estime, relèvements, boussole, faire trois points pour créer une position, nous étudions les courants, et je suis surpris de constater que les cartes marines sont vraiment fiables. Le mercredi est consacré à l’utilisation des bateaux entre deux bouées pour le parcours technique de l’examen, et même dans des conditions extrêmes, nous sommes sur l’eau. Aujourd’hui, je peux affirmer que ces cours sont mes derniers souvenirs de franche rigolade, comme, par exemple, le rituel consistant, avec deux de mes camarades, à nous rendre en ville au sortir des cours pour manger et surtout nous marrer. L’Aber Wra’ch, le passage du Four, l’île d’Yeux, le golf du Morbihan… autant d’endroits où la nature est reine, et où nous avons la chance de naviguer. Souvenirs de Mélusine, et du passage du raz de Sein, la mer est belle, démontée. Harnachés sur ce bateau étroit de l’arrière, nous discutons, nous plaisantons, tandis que la mer nous ferme le passage… Long surf sur ce bateau, vraiment impressionnant de sentir la quille flotter. Du coup, nous devons dormir à Camaret, attendre une fenêtre météo pour passer le raz, et rentrer vers Concarneau. Oui, je me souviens que même si je ne n'allais pas très bien, j'étais heureux de cette formation, car elle n'était  pas dénuée d’intérêt, entre cours en classe et navigation. Ce sont mes derniers bons souvenirs. Après viendra la dégringolade, fini la rigolade.

 
Destination Lorient, de nuit, pour passer l'examen. Nous avons le repas à préparer, et j’ai des plats qui viennent de Géronimo, plus faciles à cuisiner que des produits non conditionnés : cuisses de canard, saucisses, un peu de pâtes, une bouteille de vin, et voilà… Pendant le passage de l’examen, je suis malade. Je vomis, mais je tiens le cap, la route, j’arrive à me repérer et à entrer dans le port de la base de Lorient, le phare de Groix me sauve. Et encore une fois, je suis surpris de recevoir ma note synonyme de succès à l’examen final. Contre toute attente, me voilà skipper !


Je suis lâché dans la nature ; mes camarades de voile sont tous plus expérimentés que moi ; je souffre d’un complexe d’infériorité, un complexe que je porte en moi depuis des décennies, et je ne connais pas le métier. J’étais moniteur de voile avec pour support la planche à voile, peu habitué à partager mes joies de mer autrement qu’autour d’un bon chocolat chaud. Je sais que je manque d’expérience, et que je suis fragile psychologiquement. Un ami me parle d’un gars qui cherche un marin pour convoyer un bateau qu’il veut acheter. Je pars au Portugal. Le train, l’enfer, je suis contrôlé, et je paye une contredanse, mon billet n’était pas valable. Je découvre le bateau, un tas de rouille, puis le personnage avec qui je vais naviguer en doublon. Un être bizarre qui parle tout le temps. Les propriétaires du navire ont demandé un deuxième garçon pour emmener le bateau à Brest, question d’assurance, ce sera moi, fraîchement diplômé.


Première nuit en mer, nous n'avons pas passé le cap Finistère que déjà une avarie nous contrarie… la voile, la grand voile se déchire, la toile a dormi si longtemps qu’elle est usée. Réparation de fortune, les voiles de rechange sont plus petites que la grand voile abattue ; tant pis, nous continuons vers Brest. Dix jours de navigation qui me transforment en cocotte minute, je ne m'entends pas avec mon compagnon de voyage, nous n’avons rien en commun. Je supporte le récit de ses exploits, ce gars s’écoute parler, il sait tout mieux que quiconque, un fameux marin que voilà ! Passage du Golf de Gascogne, pour une fois ça ne cogne pas… Nous n’avons plus de gasoil, ou si peu que nous devons attendre que le vent se réveille pour continuer notre route. J’ai du mal à dormir, des difficultés à me nourrir, et à réveiller mon compagnon de quart qui est de mauvaise foi. Nous nous engueulons, et j’ai hâte d’arriver au port. Dix jours sous tension, la fuite de la coque n’y est pour rien, je ne suis pas habitué à naviguer hors de mon territoire, c’est à dire avec des amis. Je fais la triste découverte de ce que peut être un individu imbu de sa personne qui ne respecte pas les valeurs qui sont les miennes, en particulier celle de l'humilité lors d’un voyage en mer. Je sais depuis longtemps que les éléments sont bien plus forts que nous et nos coques de noix, et je ne partage pas le goût immodéré pour autocongratulation de mon nouveau capitaine. Tout un terrain qui va me pousser à exploser non pas sur l’eau, mais à terre.


Après avoir pêché des crabes copulateurs de surface et des résidus de pétrole lors de la pétole, sans vent dans le golf de Gascogne, je téléphone à un ami, nous sommes contents de nous retrouver, il vient me chercher… Après, tout devient trouble, j’explose ! Je sais que je veux mourir mais comme à Saint-Martin, une petite voix me dit : « accroche-toi, la vie est belle ». Je sais que je suis sur la route de nouveaux démons, le ciel me parle. Je voudrais tant retrouver ses bras, je suis en nage, insomnie quand tu nous tiens. Je vais mal, très mal. Retour à l’hôpital, je sais que je suis allé aux urgences demander à me faire injecter une piqûre pour ne plus souffrir. Je sais que je ne sais plus où j’en suis. Je viens de voyager mais ma solitude est de plus en plus grande, ce ne doit pas être facile de vivre à mes côté tant mon désespoir de ne plus croiser son regard est immense. Je suis sur la route en voiture, j’hésite à aller droit dans le fossé, la douleur est si grande. Personne n’est préparé à ce genre de douleur. Je vais mal car je sais au fond de moi que je n’ai plus aucune chance de la rencontrer. Depuis que je l’ai vue lors de la traversée de l’Atlantique, quelque chose en moi s’est brisé, cassé. Je suis cassé.

 

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